Pour envisager un autre avenir local de l’eau,
il convient d’ouvrir grand les vannes imaginaires.
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Comment transformer de nouveau les relations des populations locales du val d’Orléans avec la Loire — et comment (re)créer des autonomies collectives en eau pour le futur ?
Considérant les évolutions multiples de ce tronçon du fleuve au cours des siècles passés, et au regard des problématiques actuelles liées à l’eau qui s’y jouent, trois scénarios utopiques potentiels semblent se dégager :
irrigation, renaturation et/ou réensauvagement.
Nous proposons de présenter leurs enjeux respectifs à travers trois croquis.
(dessins Clémence Mathieu, textes Marin Schaffner)
Une des premières pistes écologiques permettant de faire face aux bouleversements climatiques à venir, tout en orientant la commune de Bou vers les autonomies locales, pourrait être de créer un nouveau réseau d’irrigation des terres agricoles du village, inspiré du vivant.
De façon utopique, il serait possible d’installer une ou deux bondes à l’entrée du méandre, qui pourraient être ouvertes au moment opportun afin de remplir toute une ramification de canaux. Cette utilisation inédite du fleuve (son eau et ses limons) pourrait permettre de renouer avec les traditions séculaires d’amélioration de la qualité des terres — notamment pratiquées avec les turcies entre les 12e et 16e siècles. L’eau pourrait ensuite s’écouler via la bonde de crue, déjà existante à l’ouest du village.
Un tel réseau d’irrigation serait l’opportunité de faire du village un poumon vert de permaculture, pouvant nourrir toute la commune et probablement au-delà.
Dans une telle perspective, l’organisation des communautés habitantes du val s’orienterait de nouveau autour de la vie agricole locale. Le fleuve redeviendrait un partenaire avec lequel composer : le soin qu’on lui apporterait serait directement dépendant de la qualité de l’alimentation. Enfin, la recréation d’une telle économie de subsistance locale permettrait d’accueillir plus facilement les différent·es réfugié·es climatiques du bassin-versant et de les faire participer à la vie du val.
*Le terme « permaculture » désigne un mouvement international qui, depuis les années 1970, propose de créer des autonomies alimentaires locales basées sur la coopération et le biomimétisme (littéralement, qui s’inspire du fonctionnement du vivant). L’objectif de la permaculture est de réussir à reproduire la diversité et la stabilité des écosystèmes naturels, en vue d’atteindre des formes d’organisation sociales moins dépendantes des systèmes industriels de production et de distribution alimentaire.
Face à l’annonce de la baisse générale du débit de la Loire dans les décennies à venir, du fait de l’augmentation des températures, une autre stratégie potentielle pourrait être celle de la reconnexion latérale.
Une telle forme de renaturation impliquerait de rouvrir le val d’Orléans à la Loire, tout en protégeant une part importante des zones d’habitation. L’idée serait alors de recréer des zones humides dans la largeur du lit majeur, celles-ci étant reconnues pour leur capacité à stocker d’importants volumes d’eau, et à les redistribuer d’elles-mêmes en période d’étiage.
Des bras de Loire repasseraient alors dans plusieurs endroits du val pour venir recharger ces zones humides. L’ancien bras de Loire qui passait entre Bou et le coteau de Mardié pourrait donc être recréé.
La vie locale en serait transformée : relâchement général de la pression sur le milieu, arrêt massif des pollutions (de la nappe comme des eaux de surface), moins d’habitations dans le val, une agriculture saisonnière car une plus grande exposition aux crues, un ralentissement général permettant de vivre à nouveau avec le rythme du fleuve, et un vrai regain de biodiversité. Le méandre de Bou ressemblerait alors à une sorte de zone naturelle protégée, habitée de façon respectueuse et non-destructrice.
* Le terme « renaturation » est associé à celui de réparation. Il désigne à la fois les opérations d’aménagements consistant à restaurer le « bon » état écologique et paysager de sites que l’on estime dégradés par les activités humaines, ainsi que les processus par lesquels les espèces vivantes recolonisent spontanément un milieu ayant subi des perturbations écologiques.
En dernier lieu, il pourrait aussi être envisagé de rendre son lit majeur à la Loire. Au regard de l’histoire millénaire du val d’Orléans, la contention du fleuve entre des levées est un phénomène récent qui – s’il a permis de plus habiter et plus cultiver le milieu local – pose toute une série de problèmes. Le lit de la Loire se creuse, son eau se réchauffe, de nombreuses zones humides et ripisylves ont disparu, etc.
A l’heure où est activement discutée la reconnaissance de la personnalité juridique des fleuves (notamment via le Parlement de Loire), nous pourrions considérer que la chose la plus juste, d’un point de vue éthique, serait de redonner sa liberté de circulation à la Loire. Cela impliquerait de supprimer les levées, de changer complètement les manières d’habiter le val d’Orléans et de renverser notre relation à la Loire : ce n’est plus elle qui s’adapterait à nos besoins, c’est nous humaines et humains qui nous adapterions de nouveau à elle.
Dans ce cas, une bonne partie du village de Bou disparaîtrait probablement et, des îles se reformant ici et là, l’habitat local ressemblerait probablement de nouveau à celui de l’ancestrale villa Bullus – la cité lacustre gallo-romaine du méandre de Bou. Une agriculture et un habitat semi-sédentaires se développeraient de nouveau dans le val, selon les saisons et selon le bon vouloir de la Loire.
* Le terme « réensauvagement » désigne généralement l’arrêt ou l’absence d’intervention humaine, dans une région donnée. Toutes les activités perturbatrices pour le milieu sont interdites et il n’y a pas d’intervention de gestion sur le site. L’écosystème local est laissé libre d’évoluer selon ses propres dynamiques. Le réensauvagement peut donc également être compris comme une renaturation à grande échelle.