Pour bien comprendre les enjeux actuels liés à l’eau,
on ne saurait se passer d’une analyse sur le temps long.
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En effet, au cours des 10 000 dernières années, le val d’Orléans
s’est profondément transformé.
Parcouru par les tresses du fleuve libre, émaillé par la suite de cités lacustres, ce tronçon de Loire s’est peu à peu vu enserré dans des digues — turcies et levées.
Plus récemment, avec l’industrialisation, le val est passé en deux siècles à peine de la lente intensité du commerce fluvial à un maillage serré de routes, de sites industriels et de monocultures.
Voici retracée l’évolution du val d’Orléans au fil des siècles,
en quelques dessins immersifs.
(dessins Clément Novaro, textes Marin Schaffner)
-10 000 : La Loire se déplace en tresses au gré des saisons.
Son lit change chaque année, et elle occupe toute la largeur du val différemment selon son débit.
Le val, lui, s’apparente à une grande zone marécageuse. Des îles y apparaissent et y disparaissent plusieurs fois dans l’année. La Loire y serpente librement, déposant ses alluvions sur une terre humide et riche.
Quelques grappes d’humains habitent les berges et les coteaux de façon semi-sédentaire.
-500 : le méandre de Bou s’est doté d’une cité lacustre, répondant au joli nom de villa Bullus (la boucle en latin).
Installation gallo-romaine en zone marécageuse, la villa Bullus est composée de maisons sur pilotis et tumulus, et est entourée de parcelles agricoles saisonnières sur les terres les plus fertiles.
En hiver, pendant la période des crues, le village est probablement une île – et une partie de la population remonte peut-être sur le coteau. Au printemps et en été, les locaux profitent du dépôt alluvionnaire pour développer des activités de maraîchage, de pêche, d’élevage et de culture de céréales.
12e siècle : une première digue de bois et de terre (appelée « turcie ») fait son apparition autour du village de Bou.
Son rôle est de protéger les terres cultivées dans le val des érosions dues aux crues, tout en assurant la continuité du dépôt de limon. La turcie ne cherche pas à contraindre le cours du fleuve, mais à améliorer la qualité des terres arables du val.
Les populations locales habitent toujours sur le coteau ou sur des tertres (buttes de terre), et ne sont donc pas menacées par la rupture éventuelle de la turcie.
L’activité agricole dans le val devient, dès lors, de plus en plus importante.
16e siècle : la levée de Bou est érigée afin de rendre le val habitable à l’année et de contraindre le lit du fleuve pour y faciliter la navigation.
A partir de ce moment, la Loire ne passe plus derrière le village – elle le contourne uniquement en suivant le méandre. Cette nouvelle digue, nettement plus haute, fixe un nouveau rapport au fleuve et au val pour les populations locales.
La levée sera même ensuite surélevée et renforcée au 17e siècle dans le cadre du programme de « digues insubmersibles » lancé par Colbert. Pour autant, elle cédera à plusieurs reprises et devra être colmatée, notamment lors des grandes crues de 1846, 1856 et surtout de 1866 — cette dernière (relevée à 7,80m au pont de Jargeau) ayant même submergé tout le village et emporté plusieurs maisons.
1850-1870 : jusqu’à 200 bateaux par jour peuvent monter et descendre à Orléans, et près de 10 000 bateaux circulent chaque année dans le val.
Le commerce fluvial vit alors sa période faste — qui ne durera que quelques décennies, du fait du développement massif du chemin de fer partout en France à la même période (dès 1843 pour la ligne Paris-Orléans), ainsi que l’amélioration générale de l’état des routes.
Toues cabanées (barques à fond plat de 4 à 6m), gabarots (longs bateaux sans mât des sabliers), chalands (bateaux de transport à fond plat, de 15 à 30m de long, pouvant charger jusqu’à 80 tonnes de marchandises), ou encore bascules (bateaux-viviers percés aménagés en compartiments pour le transport du poisson) : de nombreux types d’embarcations naviguent alors dans le val d’Orléans. Dès les années 1820, on voit également arriver des bateaux à vapeur (à aube et fond plat) qui font concurrence à la marine traditionnelle pour le transport des personnes et des marchandises.
Par ailleurs, des milliers de sapines (bateaux en sapin de 20 à 25m de long) étaient construites loin en amont – jusqu’à Saint-Etienne – et servaient à transporter du bois, du charbon, du vin, des céramiques, etc. Ces sapines ne faisaient souvent qu’un seul voyage vers l’aval où elles étaient vendues comme bois de charpente ou de chauffage.
An 2000 : un réseau dense d’infrastructures routières, industrielles et agricoles a remodelé le val et les façons historiques d’y vivre et de s’y déplacer.
A la suite de l’expansion démographique des années 1960 – directement liée à la politique nationale de décentralisation industrielle et administrative, l’agglomération orléanaise devient une plateforme logistique d’importance. Les flottes de camion, accompagnées de leurs entrepôts, ont remplacé les bateaux d’antan.
Avec le nouveau quartier de la Source, la métropole s’étend loin au sud jusqu’après la rivière Loiret. L’agglomération orléanaise occupe maintenant toute la largeur du val. De vastes zones inondables ont été rendues constructibles et de nombreux villages du val sont ainsi progressivement devenus des petites villes. La communauté de commune d’Orléans – aujourd’hui devenue métropole – comptait 170 000 habitant·es en 1968 et 270 000 en l’an 2000 (+60% en 30 ans). Elle en compte 290 000 en 2021.
1973 est une année décisive dans la transformation autoroutière du val : s’ouvrent en même temps le tronçon Les Ulis – Orléans sur l’A10, la tangentielle et la voie rapide jusqu’à Montargis (N60), ainsi que le premier tronçon de la A71 (entre l’A10 et La Chapelle-Saint-Mesmin). Le prolongement de l’A71 se poursuivra vers le sud dans la décennie suivante, jusqu’à Olivet (1980) puis Salbris (1986).
Depuis 2019, un projet de route de 14 kilomètres de long traversant tout le val, avec un pont de 570m par-dessus la Loire, est en cours de réalisation. Projet hérité des années 1990, cette « déviation de Jargeau » interpelle par l’ampleur de son emprise sur le val (environ 80 hectares de terres agricoles et le déboisement de 15 hectares) dans une zone pourtant classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.